La Charente vue par Gustave Flaubert
Reçu
bachelier le 23 août 1840, Flaubert entreprend d'août
à octobre un voyage dans les Pyrénées,
le Midi méditerranéen et la Corse, en compagnie du docteur Jules Cloquet, ami de son
père, de la sœur du docteur et d'un prêtre italien, ami du docteur.
Le "Voyage" de 1840 a été rédigé
pour partie en cours de route, à Bordeaux et à
Marseille, pour partie de retour à Rouen. Ce "Voyage" n'a jamais été
publié par Flaubert. Le texte qui suit est extrait des
œuvres complètes de Flaubert éditées aux
éditions du Seuil (Tome 2, pages 425).
"A Poitiers, le Midi commence: larges bonnets, moins gracieux toutefois que ceux de Montbazon, quelques chose de sévère, autant que j'ai pu en juger par un mauvais dîner et me
rappelant que le Poitou est la partie des... (sic). Je garde
un souvenir plus gracieux d'Angoulême et de la colline
ou elle est bâtie. On commence à rencontrer des attelages de bœufs qui m'ont fait penser à
un tableau de Léopold Robert. Les postillons ont le béret
rouge des Basques et le pantalon à galons, les chevaux
sont plus petits, plus efflanqués; les toits deviennent plats; les tuiles rouges bosselées qui les
couvrent, les murs blancs des maisons dont le faite n'est pas souvent plus haut que les vignes, tout cela c'est
bien du Midi. Partout cheveux noirs et barbe forte, costumes
bigarrés comme dans un bal masqué, des paysans battant le blé devant leur grange. Quand vous
passez dans ces petits villages blancs comme la campagne ou ils sont assis et comme le soleil qui les éclaire,
que vous tournez aux angles de mur uni, percé de petites fenêtres, on se croirait, j'imagine, en Espagne.
"Vous n'êtes plus assailli, comme dans le Poitou, de femmes qui exploite la soif ou la pitié
du voyageur, seulement la poussière tourbillonne et le soleil darde; point de bruit ni de chants dans la
campagne. Pour rendre la ressemblance plus parfaite, le rapport plus juste, à Savignac, j'ai eu une véritable apparition mauresque: pendant que nous relayions, un contrevent
vert s'est ouvert, une main est d'abord aperçue (pour qu'on ne m'accuse pas trop d'exploitation féminine,
je déclare que c'est sur la découverte de mon grave et savant compagnon M. Cloquet), une main, puis un profil, puis deux, deux têtes
noires avec un sourcil superbe à peine entrevues!
Dérision! Une plaque jaune me fait conjecturer que c'étaient les deux filles du notaire."
Il est piquant de noter que la seule impression commune à Stendhal et à Flaubert soit due à l'exceptionnelle
beauté des sourcils des Angoumoisines.
Recueilli par R. Bonnet
Extrait des Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique
et Historique de la Charente - Année 1967.
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