![]() |
![]() |
Lettres.Charentaises... Lettres.Charentaises... Lettres.Charentaises... Lettres.Charentaises... |
||||
|
||||
| Chistiane Lamorlette | *.html | .pdf(57ko) | Angoulême | |
||||
Angoulême, dans le roman de Christiane Lamorlette "Les Intentions" par J.-M. Barre, Inspecteur d'Académie L'on trouve souvent un intérêt particulier à lire une oeuvre littéraire dans le pays qui l'a inspirée, dans les lieux où l'auteur en place l'action, au milieu des types humains mis en scène et parfois reconnaissables dans leurs traits généraux. Inversement la fréquentation de ceux qui ont écrit sur un pays donne à l'hôte passager et même permanent de ce pays une vision plus nette des gens et des lieux. L'accoutumance nous fait aisément ignorer ce qui mériterait notre constante amitié, la sensibilité s'émousse au contact quotidien, mais se renouvelle auprès d'une autre sensibilité plus vive; et puis nous allons souvent chercher bien loin ce qui est près de nous, et nous aurions sans aucun doute profit et plaisir tout ensemble à bien explorer notre jardin. Le jardin charentais a eu, dans la littérature, bien des illustrateurs. C'est l'une de ses allées que nous allons parcourir, une avenue tout récemment percée, et parmi celles qui offrent les plus neuves perspectives. C'est du roman "Les Intentions" et de Christiane Lamorlette qu'il s'agit (1). Bien que mon propos se borne à retirer de l'ouvrage quelques évocations de notre ville, il faut bien dire quelques mots du livre lui même. C'est, par son cadre, une oeuvre classique, qui respecte stric tement les trois unités, mais dont le thème ne fait appel ni à la noblesse cornélienne ni à ce qu'il y a d'avouable dans la passion racinienne. Un jour: le 14 juillet - un lieu: Angoulême - une action, tout intérieure et psychologique le drame d'une vie conjugale, non pas même celui de la mésentente, ou de la haine, mais celui de l'incompréhension et de l'ignorance, celui de deux êtres qui ne se sont jamais trouvés: Si le 14 Juillet au matin le mari se découvre abandonné par celle qui représentait son confort matériel et sa sécurité morale, peut-être l'a-t-il mérité. Cela l'oblige à vivre un 14 Juillet d'introspection et de retour sur soi au milieu de la ville en fête, de peut-être confusément deviner que dans sa vie tout n'a été qu'inten tions et velléités, sauf ses passions pour la pêche et le billard. Roman psychologique donc, fort bien venu, habilement construit sur différents plans, montrant une grande perspicacité dans l'analyse du coeur et un réel talent de conteur. Christiane Lamorlette est de La Chignolle. Elle a fait ses études à la Rue de Montmoreau. Elle a plus tard enseigné Je dessin à Paris, et l'on trouve effectivement dans ses descriptions le coup d'oeil de l'artiste, avec à la fois la vision des ensembles et le sens du détail. "Les Intentions" sont le troisième roman de l'auteur; tous trois évoquent la Charente, sa campagne ou sa ville. Faisons maintenant en parcourant le livre, une facile promenade à travers Angoulême et sa toute proche campagne. Les noms des rues, des lieux, des rivières, déformés certes, sont pourtant familiers à nos oreilles: La Douvre, Echalonne, le pont Saint-Médard, le rempart du Nord, l'église Saint-Ausone... De même, et sans savoir quelle réalité précise se cache derrière cette évocation, n'y a-t-il pas pour le lecteur angoumoisin comme un sentiment de déjà vu devant cet "immeuble à façade désuète, tout encroutée de grimaces et de macarons, de céramiques bleues et vertes: la brûlerie Saint-Ernest". Ailleurs, on rencontre cette "statue ancienne de la Vierge, logée à l'angle d'une maison. La Vierge avait été repeinte en bleu ciel, et c'était déplaisant" .Il s'agit, bien évidemment, de la touchante statue au coin de la Rue du Gond, et, point notable, les plis de la robe de pierre délavée laissent voir encore quelques vestiges de peinture bleue. Parcourons maintenant les méandres du Jardin Vert, le "Jardin Carnot" du roman, et portons nos regards vers le calme de la vallée: "Charles se dirigea vers le rempart sud. Il fut bientôt au jardin. Il faisait frais sous les arbres. La brise d'ouest persistait et tous les bruits de la fête contournaient la ville. Le jardin Carnot s'élevait au-dessus de ces bruits. Alentour, la frairie galopait. Là Charles se sentit à l'abri. Il était seul. Il monta jusqu'au belvédère et s' assit sur un banc. "La ville était une cathédrale. Romane et couleur d'ocre, sur son plateau, haussée par ses remparts. Son jardin de curé, c'était le jardin Carnot, botanique et zoologique, dont le belvédère embrassait toute la vallée. "Charles voyait l'immense campagne verte toute rebrodée des méandres de la Gitoire, tout ajourée de petits ruisseaux. "Au Porteau, le raisin de noa était en train de mûrir ; à Echalonne, la moisson n'était pas encore faite. Bientôt, huttes gauloises ou paillottes nègres surgiraient sur les plans jaunes d'or : les meules d'Echalonne étaient reconnaissables à ces formes particulières. "Charles se leva de son banc. La pente du chemin le conduisait. Au bout, il y avait un carrefour: de là, on pouvait prendre par le pont japonais, aller voir les singes ou s'asseoir sous le pin parasol." Voici "le Chemin des Vieux " "La sente était pénible, mais c'était tout près de la ville et l'air était bon. Sans connaître l'isolement de la campagne, de là-haut, on jouissait d'une vue extraordinaire: l'écume du barrage de Saint Médard; les minoteries; une île sauvage tout encombrée de peupliers; des prairies qui fuyaient vers un horizon de collines où la Gitoire, après maintes façons, se coulait comme vif argent... Et, de 1'autre côté, ce n 'était pas mal non plus... on avait les grands arbres du jardin Carnot, pins parasols et chênes, et ses pelouses aux paons mufti-colores..." Bien entendu, le romancier n est pas un photographe. Trop de précision n'est pas de mise; au contraire, des allusions, des souvenirs divers sont rassemblés dans la description, et le paysage recomposé participe de plusieurs. Il n'en reste pas moins, dans son impressionnisme, étonnamment juste. Mais dirigeons-nous vers le Champ de Mars: "On avait divisé le champ de foire en deux parties: d'un côté la frairie, de l'autre le concours agricole. Charles hésita. Tous les fermiers, propriétaires des bêtes, s'étaient pareillement costumés blouse verte et large chapeau espagnol, chemise blanche à jabot ou à plastron et petit col à la hongroise. Deux de ces blouses passèrent devant lui, et Charles leur emboîta le pas. Les blouses vertes s'arrétèrent à l'enclos des boeufs et il en fit autant. Des chaînes entouraient ce carré. Il s'y appuya, tout près des bêtes. Têtes levées, quelques unes meuglaient, d'autres étaient couchées, résignées à attendre. Des hommes ajoutaient de la paille aux litières. Cette paille remuée à grandes fourchées sentait encore le blé et cela fut agréable à Charles. "A deux cents mètres, la frairie s'animait, explosions de carabines, voix métallique et vulgaire des haut-parleurs... Le cône bariolé des manèges s'était mis à tourner... " La ville en vacances avait pris un air de plage: ses auvents de toile comblaient les rues. Ici, les étalages débordaient, là, coulait la frairie, jusqu'à la route. Roulottes, miroirs peints, oiseaux en cage, osiers, lingeries... La Grande Chenille se déroulait, train fou, voyageurs hurlants. Jeux de massacre : "Essayez ! Monsieur ! Votre adresse... Essayez votre adresse...". Nougat et sucre chaud. Brise d'ouest. Des relents d'étable sur la frairie. Quand la brise tombait, les parfums descendaient au ras du sol; de nouveau la brise et tout s'envolait, disparaissait. Drapeaux échevelés, balançoires, manèges, cris aigus..., bascules, balances, tourbillons... Sous la grande roue de la loterie, les yeux indéchiffrables des poupées..." Toutes les nostalgies enfantines ne sont-elles pas dans ces odeurs de nougat chaud et dans cette cacophonie ? Voici maintenant la fin de journée sur les places et dans les rues du Plateau: Jusqu a cinq heures, "l'artère et les places étaient restées déser tes. Devant la cathédrale, quelques vieilles dames assises sur des bancs - place de l'Hôtel de Ville, un agent désoeuvré qui contemplait le drapeau... A cinq heures, brusquement, tout changeait. En haut de l'artère, un flot de lycéens surgissait, tandis qu'en bas la troupe serrée et ricanante des lycéennes s'avançait à leur rencontre" Pendant une heure de marche, contre-marches, attaques de front ou manoeuvres subtiles, les effectifs, peu à peu, fondent. Et il ne reste plus que quelques "laissés pour compte" lorsque survient "la vague des employés de bureau". "En règle générale, cette vague s'infiltrait du pourtour vers le centre, des administrations vers les cafés... Face à l'Hôtel de Ville, la terrasse du très bourgeois Café de la Paix, vaste et bien tenue, avec ses plantes vertes, ses sièges de rotin, recueillait alors ses habitués. L'agent surveillait avec plaisir ce regain d'animation. "C'était l'heure où, sur la façade de l'hôtel de ville, le drapeau s'amollissait, claquait plus doucement. Le jeune soleil, le vent vert fléchissaient. La pierre renvoyait sa chaleur. Les employés buvaient des apéritifs à l'anis ; sur les remparts et les promenades, dans les jardins de la préfecture, ils avaient vu s'entrouvrir la colle des bour geons et les feuilles se déplisser; et, du haut de la ville, à chaque fin de jour, on pouvait mesurer les progrès du printemps. Il envahissait la campagne: bientôt, il se cacherait dans les arbres." Je citerai une dernière page, à l'intention des pêcheurs et des amis de la nature: "Le samedi, le dimanche, une heure avant l'aube, Charles passait sa grille. Tout dormait. Il enfourchait son vélo. Par les rues endormies, il filait vers la campagne. Il traversait le petit village d'Echalonne où le pain était si bon et qui voyait la Gitoire recueillir le plus turbulent de ses vassaux, la mystérieuse Douvre. A Echalonne, la nuit s'éclaircissait, tournait au gris tendre. Charles levait la tête, il humait l'air, il ralentissait. A la cascade du moulin, il s'arrêtait et regardait le barrage - avec des bottes, on marchait facilement sur son mur pour pêcher la truite au lancer. Le ciel se déchirait lentement, cent effilochures révélaient ses roses. Le ravissement de Charles commençait, qui ne le quitterait plus jusqu'au soir. "Il laissait Echalonne, courant après l'aube: c'est au bord de la Gitoire, au lieu-dit du Porteau, qu'il la rattraperait. Et, à peine détachait-il ses gaules du vélo que les brumes éclataient sous la poussée du disque rouge. "A la brune, quand le disque est à l'opposé, qu'il rougit l'ocre des pierres d'Echalonne et l'écume de son moulin, Charles rentrait. Il pédalait lentement, tout son plaisir sur lui. "A la maison, il ouvrait sa musette, il alignait les poissons sur un lit de menthe et de feuilles de saule encore humides. Il vantait la forme du chevesne, la couleur de la tanche, le scintillement des écailles; il donnait le détail de chaque capture. Germaine n 'écoutait pas. Tout lui échappait: intention, poésie, offrande. Elle était sourde à la chanson." C'est bien certes cette surdité, cet aveuglement de chacun qui constituent le livre. De cet état de choses, au long de cet interminable 14 Juillet, le mari fait-il vraiment la découverte? Sa femme la fait-elle de son côté? Il est permis d'en douter. Aussi, ne restons pas sur cette tristesse et cette amertume. Regardons, auprès des deux protagonistes, s'agiter des personnages que l'on croit reconnaître tant ils sont saisis sur le vif, vus dans leurs traits caractéristiques, campés en quelques mots dans leurs attitudes typiques, spécimens d'humanité collectionnés avec un évident plaisir et jugés avec un humour amical ou sévère. Ce sont entre autres, le garçon de café, le paysan dégustant son noa au comptoir et claquant la langue, le livreur du boucher, l'industriel, les joueurs de billard, la dactylo, l'artiste bohême, la marchande de crevettes et la truculente mère Jarousse, rabelaisienne et ubuesque. Goûtons, dans "Les Intentions", cette galerie de tableaux qu'ordonne Christiane Lamorlette et aussi ces aquarelles que sont les touches plus brèves de sa plume: une maison, une rue, une échappée sur la rivière, sur l'île, les prairies qui s'éveillent à l'aube et où les pêcheurs mettent dans la rosée les traces de leurs pas, l'instantané d'un aspic d'eau qui "sort des joncs et traverse la rivière en relevant la tête. De la berge, on voit son corps ondoyer à la remorque de cette tête petite et autoritaire". Parmi toutes les satisfactions que procure un roman bien composé et bien écrit,
un plaisir particulier peut, de façon très légitime, être trouvé dans la peinture
des lieux où nous vivons, que nous connaissons, même si cette peinture, hélas, est celle déjà
d'une autre époque. |
||||
Lettres.Charentaises... Lettres.Charentaises... Lettres.Charentaises... Lettres.Charentaises... |
||||
|